mardi 25 février 2014

LA SINGER DE SAINT-JEAN



Siège de la Singer - New York - 1857


Il y a 110 ans, en 1904, Saint-Jean connaît une cérémonie haute en symboles économiques et nationaux : la première levée de terre pour la construction de l’usine de la compagnie Singer de machines à coudre.



Symboles économiques et nationaux, car la ville a dû combattre ferme pour prévaloir sur des municipalités concurrentes au Canada et aux États-Unis, municipalités tout aussi désireuses d’attirer chez elles cette entreprise célèbre mondialement.



L’enjeu est énorme, car les dirigeants ont décidé que leur nouvelle usine serait gigantesque : au moins 25 fois plus importante que celle qu’ils exploitent déjà à Montréal depuis 1882.



C’est peu de dire que les autorités jeannoises déploient le tapis rouge : elles accordent une exemption des taxes municipales et scolaires pour 20 ans plus divers autres crédits d’impôt.



Elles promettent en outre une subvention de 20 000$ pour l’aménagement d’un aqueduc réservé à la compagnie, une voie ferrée dédiée, l’accès privilégié aux forêts de la riche zone forestière de Thurso, dans l’Outaouais, pour la fabrication du meuble des machines et la construction d’un quai spécial le long du canal.



Cela sans compter les avantages géographiques de Saint-Jean, qui se trouve au cœur des voies navigables reliant Montréal à New York.


La bataille étant gagnée – au coût, semble-t-il, de 550 000$ en avantages de toutes sortes – Saint-Jean verra « son » usine ouvrir ses portes en 1906.


 
L'usine au sommet de son déploiement.


Entre les années 1950 et 1970, jusqu’à 3 000 personnes y œuvreront pour construire les machines de A à Z avant de les expédier principalement aux États-Unis, aux Philippines et en Afrique.



Cette belle aventure est née du brevet étatsunien n° 8294
décroché par Isaac Merritt Singer le 12 août 1851.


Elle prendra fin à Saint-Jean en 1986.



Le site, avec ses magnifiques et solides constructions de brique, passera ensuite entre de nombreuses mains avant d’être récupéré par la ville en 2004 et d’être cédé à un consortium privé l’année suivante.



Se pose alors la question de la vocation du site et lorsqu'il est question de démolir l'usine des protestations s'élèvent.




Avec un effet nul...



Depuis 2012, un nouveau quartier résidentiel occupe  le site en proposant des immeubles neufs qui évoquent sommairement les anciennes usines.




Le changement de vocation est radical, mais pas au détriment de l’allure générale de l’emplacement.

mardi 18 février 2014

DE L'AUTARCIE À L'INDUSTRIE : COMME L’AGRICULTURE A CHANGÉ...



L’agriculture québécoise a choisi de se moderniser, au milieu du 19e siècle en privilégiant l’élevage laitier et accessoirement l’élevage porcin quitte à s’approvisionner en grains de provende venant des grandes plaines de l’ouest.


Cette situation est demeurée relativement confortable tant que l’Angleterre absorbait la presque totalité de la production fromagère et la presque totalité des porcs.

Mais progressivement, ces marchés se sont fermés, notamment après la 2e guerre mondiale et la recherche de nouveaux débouchés est devenue impérative.

Première solution : cesser d’importer les céréales de l’ouest et les cultiver chez nous afin d’abaisser le coût de l’alimentation animale.

Dans ce grand remue-méninges, on souhaite faire migrer l’élevage vers les terres les moins fertiles tandis que la Vallée du Richelieu est désignée comme « naturellement adaptée à la monoculture du maïs-grain »[1] puisqu’elle est très fertile et qu’elle déploie les vastes surfaces planes requises par l’agriculture industrielle.

Malgré ces avantages « naturels », cette nouvelle vocation décidée d'en haut va exiger des virages très importants.

D’abord, le centre de recherche du ministère de l’agriculture à Saint-Hyacinthe est chargé de mettre au point de nouveaux cultivars de maïs-grain mieux adaptés au sol et au climat de la région.


Mission accomplie avec les premières plantations commerciales en 1958, plantations non seulement de maïs, mais également de soja.

Agronomes et autres spécialistes des grandes cultures sont alors mobilisés pour répandre la bonne parole auprès des cultivateurs.

Mais se posent alors d’autres problèmes, car il faut absolument drainer les terres et leur fournir d’importantes quantités d’engrais azotés pour répondre aux énormes exigences en azote du maïs.


Et qui dit fertilisation, dit risque de pollution...

Quant au drainage, c’est peu de dire qu’il modifie en profondeur l’écoulement normal des eaux.  Or, dans la vallée du Richelieu, il a été pratiqué à une haute échelle.

En 1951, en effet, il n’existait aucune terre drainée dans la vallée.  20 ans plus tard, 4240 hectares sont équipés de drains.


Bref, c’est toute l’écologie de la région qui a été modifiée par ce passage de l’agriculture maraîchère presque de subsistance à l’agriculture industrielle plus préoccupée des marchés que de la biodiversité.

La vallée du Richelieu est devenue méconnaissable.

En 60 ans à peine, quel changement...


[1] Les mutations de l'agriculture au Québec : l'introduction du maïs-grain dans la Vallée du Richelieu après la seconde guerre mondiale, Myriam  Brouillette-Paradis, Mémoire présenté à l’Université du Québec à Trois-Rivières, mai 2010.

mardi 11 février 2014

IL Y A 160 ANS : LA COMPAGNIE DU RICHELIEU ABANDONNE LA RIVIÈRE




L’année 2014 est particulièrement riche en anniversaires de toutes sortes et nous en rendrons compte au fil de nos publications.

Cette fois-ci, nous marquons le 160e anniversaire de l’abandon de la navigation commerciale sur le Richelieu par la Compagnie du Richelieu.

1854 marque donc la fin de la présence de cette illustre compagnie dans NOTRE voie d’eau, mais pas la fin de la compagnie elle-même, puisque celle-ci se survit jusqu’à nos jours sous une nouvelle appellation.

Beaucoup de nos historiens ont tâché de nous faire croire que les Canadiens français n’étaient pas faits pour l’économie et la gestion rentable.

La compagnie du Richelieu vient montrer le contraire.

Au milieu du 19e siècle, le Richelieu est le lieu d’une intense circulation, pour le transport de passagers bien sûr, mais surtout pour le fret et en particulier pour les livraisons de bois aux États-Unis.

En 1845, des hommes d’affaires canadiens français de la Vallée du Richelieu et quelques uns de Montréal s’unissent pour créer la «Société de Navigation du Richelieu », société qui prendra le nom de « Compagnie du Richelieu » deux ans plus tard.


Très rapidement, la compagnie connaît le succès et verse de bons dividendes, mais elle doit aussi affronter la concurrence de petites goélettes vouées au cabotage et à celle de compagnies de navigation à vapeur, sans compter celle de la voie ferrée qui relie déjà Laprairie à Saint-Jean et qui étend sa desserte.
 
La Dorchester - première locomotive du Québec.  Elle a assuré liaison Laprairie-Saint-Jean dès le 21 juillet 1836.
Des ententes avec certains de ces concurrents viendront la soulager durant quelques années, mais dès 1850, elle doit se décider à offrir des services dans le Saint-Laurent, ce qu’elle avait refusé de faire jusque là à cause de la présence redoutable des grandes compagnies anglophones déjà installées là.

Ce choix du Saint-Laurent s’avère judicieux et permet à la compagnie de revoir des jours plus ensoleillés.

Tout au contraire, la situation se dégrade de plus en plus sur le Richelieu, où la compagnie ne fait plus ses frais.

De plus, la composition de l’actionnariat a bien changé et la plupart des actions se trouve dorénavant aux mains de Montréalais moins liés affectivement à la « Rivière aux Iroquois ».

En 1854, donc, la décision est prise de retirer tous ses navires de la rivière et de se concentrer sur les liaisons dans le Saint-Laurent.
 
Le Richelieu sur le Saint-Laurent, après 1900.
Décision fort judicieuse puisque, après de nombreuses autres péripéties, la Compagnie du Richelieu prospère encore sous la dénomination de  Canada Steamship Lines...

Elle aura aussi entretemps construit le célèbre hôtel Tadoussac et, à la Malbaie, le non moins célèbre Manoir Richelieu.

Toujours sous la gouverne d’investisseurs canadiens-français..., comme pour faire mentir les historiens dont nous parlions au début.

mardi 4 février 2014

CONRAD LABELLE RENCONTRE AL CAPONE



L'historienne Yvonne A. Labelle, sœur du roi des contrebandiers canadiens durant la période de la prohibition américaine, a publié à compte d'auteur un volume de quatre-vingt-dix pages intitulé «Conrad Labelle».



Dans ce premier ouvrage consacré à «l'homme qui mit sur les dents les policiers, les douaniers et le F.B.I. étatsuniens durant les années 1919 à 1923» nous trouvons des dizaines d'anecdotes plus incroyables et rocambolesques les unes que les autres.



Il en est une, entre autres, qui retient d’avantage l’attention : la rencontre de Conrad Labelle avec Al Capone, le célèbre bandit de Chicago.
      Alphonse Gabriel Capone 





Voici comment Yvonne Labelle raconte cette anecdote.


À cette époque, le célèbre Al Capone régnait sous le signe de la violence à Chi­cago. Issu de la famille Capponi,  illustre à Florence, en Italie, il changea son nom pour Capone après la mort de son père.



Transaction


Conrad rencontra une fois le grand roi de la contrebande de Chicago. Capone était de la taille de Conrad et de son âge, il pesait dans les 150 livres. Il portait un chapeau Borsalino tan­dis que Conrad préférait les chapeaux Stetson à 100$ chacun. Il en possédait toujours deux, car lorsqu'il bu­vait un peu trop de boissons alcoolisées il oubliait souvent son couvre-chef ou il l'abandonnait.



Lors de leur rencontre, les deux hommes conclurent une transaction. Al Capone avait reçu une cargaison de 3 000 caisses de boisson dans un ba­teau au large de Boston, au Massachussets. 

C'était trop loin de chez lui et il proposa donc à Conrad de l'a­cheter. Or, c'était justement dans le territoire du jeune homme, là où ses clients étaient  les plus nombreux.           



Il y vendit ses caisses de boisson aux gens de Lowell, de Springfield et autres villes de la région et même à des Italiens du Connecticut, réalisant ainsi d’énormes bénéfices.



En fait, ce sont deux de ses associés de Plattsburg qui s'occupèrent de l'affaire, tandis que lui-même était aux lignes américaines. Le tra­vail fut extrêmement exigeant en hommes et en camions.



Chevaux



Conrad aime à raconter un fait concernant Al Ca­pone qui pariait quand il y avait des courses de che­vaux. L'écurie Whitney était une des meilleures aux États-Unis. Capone en­voya deux de ses hommes pour rencontrer M. Whit­ney afin de faire un pari de 25 000$ sur son cheval Galant Sir contre le pur-sang de Whitney baptisé Equipoise.




Whitney, sûr de ga­gner, accepta le pari. La course eut lieu à Chicago. Equipoise gagna, malgré le tour de passe passe de Capone. Celui-ci avait en effet inscrit un au­tre de ses chevaux dans la course afin de nuire à celui de Whitney, mais sa supercherie ne réussit pas et il per­dit son pari.



Quelques mois plus tard, dans un club aux Bahamas, Ca­pone invite Whitney à sa table.  Montrant la bouteil­le de champagne et les deux verres, Al Capone dit à son hôte : «Buvons à la vic­toire de votre cheval». 

Malgré ses défauts, Al Capone était très charitable. Il aidait les pauvres. Il ne buvait pas et ne fumait que très peu tandis que Conrad absorbait énormément d'alcool et fumait une grande quantité de gros cigares.


Chicago

La population de Chicago était alors de deux millions d'habitants.



Il y avait dans les années 1920-21 plusieurs bandes rivales d'Italiens aux quatre coins de la ville. Il s’y passait des choses pas très catholiques. Les bandes se mitraillaient l'une l’autre dans des guerres de territoire; elles se volaient leurs spiritueux et laissaient des cadavres derrière elles.



Dans ces luttes, l'un des frères d'Al Capone fut tué. C'était un fabricant de boisson frelatée, du scotch, du rye et du gin. « Ce n'était pas bon à boire», selon Conrad.



Al Capone contrôlait Chicago; il possédait des maisons de jeux, des bordels, des maisons de paris et dominait le marché de la drogue.



Incapable d’obtenir une condamnation pénale contre lui, la justice le coinça par ses lois fiscales.  Il fut condamné à onze ans de prison à Alcatraz pour ne pas avoir payé ses impôts. On lui enleva tout ce qu'il possédait.

Quand il tomba malade, on le libéra. Il mourut chez lui âgé de 48 ans. Il avait contracté la syphilis qui en ce temps là ne pardonnait pas.



Aventure


On a fait des films sur la vie d'Al Capone où apparaissent des officiers de FBI ainsi que Elliot Ness et ses Incorruptibles. On a écrit son histoire.



Sa manière de procéder n'était pas semblable à celle de Conrad. Al Capone ne traversa pas la frontière canadienne pour acheter des boissons alcoolisées. Quant à Conrad dans sa Cadillac blindée, il parcourut 20,000 milles en deux mois, ce qui n'était pas facile surtout dans les chemins de gravelle de l'époque.




Il ne s'occupa pas du commerce de la drogue. Il transporta du Canada aux États Unis seulement des boissons importées.



Ses hommes armés de revolver protégeaient ses caravanes de chargements. Ils n'ont jamais donné la mort à quelqu'un.   «C'était une grande aventure...»

Il y avait aussi des imprévus parfois, tels cette fois où une cousine de Conrad, au volant de l'une de ses voitures - une Buick évaluée à 3 000$ - en perdit la maîtrise et l'engloutit dans le lac Sassequin, près de New Bedford, au Massachussets.
Lac Sassequin, Mass.
Plattsburgh, 1920.  La «cousine».