mardi 25 octobre 2016

LA VOLEUSE DE VOCATION




En 1852, la paroisse de Saint-Bernard de Lacolle n’a toujours pas d’église et voilà qu’elle change de curé.


Joseph Dallaire prend la relève.   Il a 40 ans, et une longue feuille de route.

Ordonné à Montréal en 1838, il est d’abord nommé missionnaire près de la frontière ontarienne puis devient  curé à Saint-Chrysostome(1838-1845), à Rigaud (1845-1848), à Henryville (1848-1850) avant de fonder la paroisse de Farnham où il restera de 1850 à 1852.

À Saint-Bernard, en pleine région frontalière, les affrontements entre anglophones et francophones sont quotidiens et acharnés ; ceux entre catholiques et protestants aussi.

Que se passe-t-il ?  M. Dallaire trouve-t-il ces tensions trop difficiles à supporter ?  Ou, autre possibilité plus vraisemblable : à 40 ans, il subit les assauts victorieux du démon du midi.

Toujours est-il qu’à l’automne 1853, sans crier gare, il déserte son poste et va s’établir avec sa gouvernante à Perry’s Mills, dans le New York, tout juste de l’autre côté de la frontière.

Là, il achète une ferme et s’établit comme prêcheur baptiste.

En 1860, au recensement fédéral étatsunien, il déclare 4 enfants, dont un nouveau-né.

En 1865, lorsqu’il est à son tour nommé curé à Saint-Bernard, Antoine Labelle – qui deviendra plus tard le célèbre Curé Labelle – se rend à Perry’s Mills dans l’espoir de ramener la brebis égarée.

Dallaire se montre sensible à la rhétorique de son collègue et déclare être prêt à revenir.   

Cependant, il affirme ne pas vouloir abandonner femme et enfants et, de plus, il a contracté une forte dette pour acheter sa ferme et il ne peut pas déserter comme cela.

Sur réception du compte-rendu de cette rencontre, Mgr Ignace Bourget, évêque en titre, fait tenir la somme demandée à Dallaire.

Puis… on n’entendra plus jamais parler de lui du côté québécois.

Côté États-Unis, c’est autre chose…


L’ouvrage intitulé History of Plattsburgh nous apprend que le saloon que M. Daller exploitait à l’angle des rues Park et River, à Plattsburgh, a passé au feu le 23 mars 1871. 

S’agit-il du même Dallaire ?  A-t-il investi l’argent de Mgr Bourget dans l’achat d’un bar ?

Impossible de trancher pour le moment, mais…

Ce que l’on sait en revanche c’est que l’ancien curé est mort à Plattsburgh, en 1893, à l’âge vénérable de 80 ans.


mardi 18 octobre 2016

LES SOULONS D’ODELLTOWN




Au début du 19e siècle, les forêts entourant la région du lac Champlain et du Haut-Richelieu sont très avidement exploitées.


Leurs arbres de bois franc sont très recherchés et abattus en quantités industrielles pour satisfaire la demande en potasse.

Rappelant cette période de ses souvenirs dans le « Plattsburgh Republican » du premier février 1879, le célèbre avocat Julius Caesar Hubbell raconte qu’une bonne partie de la population de Chazy, dans le New York, se livrait à cette activité qui consistait à faire brûler le bois à l’étouffée puis à extraire la potasse des cendres.
Four à potasse

Le tout était ensuite expédié vers l’Angleterre via le lac jusqu’à Saint-Jean, puis par voie de terre jusqu’au port de Montréal.

La demande étant insatiable, de véritables corvées de bûchage étaient
organisées et des voisins venant d’aussi loin que d’Odelltown n’hésitaient pas à y participer, surtout que du whisky était libéralement distribué pour soutenir les ardeurs.

Mais… qui dit whisky à volonté dit ébriété, violence et batailles rangées.

Il arrivait assez fréquemment par exemple, que les rues du village de Champlain soient parcourues par des foules complètement ivres et, semble-t-il, les gens d’Odelltown ne laissaient pas leur place.

Me Hubbell ne s’en plaignait pas, car cela lui apportait beaucoup de consultations pour dommages et intérêts…

mardi 11 octobre 2016

L'ANTI-LAURIER


Naître à Henryville et mourir à Saint-Boniface n’a rien de banal.
Mais s’attaquer à Wilfrid Laurier quand celui-ci avait décidé d’abandonner les siens aux mains des Anglais racistes sort encore plus de l’ordinaire.
Voici l’histoire de Thomas-Alfred Bernier.
Thomas-Alfred Bernier
Né le 15 août 1844, Thomas-Alfred fait son cours classique au séminaire de Saint-Hyacinthe, haut lieu de l’ultramontanisme,   puis opte pour le droit et le journalisme, ce qui le met en contact avec Honoré Mercier, lui-même alors clerc d’avocat et journaliste.
Après s’être constitué une belle clientèle à Saint-Hyacinthe, il décide, en 1880, d’aller s’installer au Manitoba pour y pratiquer l’agriculture.
Mais, à peine arrivé et vu sa formation et ses qualités, il est nommé surintendant des écoles catholiques.
Ceci est loin d’être une sinécure puisque les Anglais du Manitoba, plus enragés que jamais, ont décidé d’éradiquer le fait français et catholique de la province et ils ne reculent devant aucune attaque, tracasserie ou brimade pour arriver à leurs fins.
Malgré l’appui de la hiérarchie catholique, Bernier s’épuise à la tâche d’écarter les avanies les plus sérieuses.
Rien n’y fait et, en mars 1890, le
Thomas Greenway
gouvernement de Thomas Greenway abolit le double système d’enseignement public confessionnel et interdit l’usage de la langue française au Parlement, dans les tribunaux et dans les documents officiels.
Par le fait même, Bernier perdait son emploi. 
Jusque là réfractaire à l’idée de se lancer en politique, il accepte néanmoins, en 1892, d’entrer au Sénat fédéral.
C’est que la situation politique est devenue particulièrement agitée, les Canadiens français - du Québec surtout - exigeant très bruyamment que justice soit rendue à leurs frères et sœurs de langue et de religion.
Wilfrid Laurier
Wilfrid Laurier, Canadien français d’origine mais parlant le français avec un accent anglais, est durement pris à partie par les électeurs.
Ceux-ci exigent qu’il désavoue la loi manitobaine et qu’il restitue les droits que la province s’était pourtant engagée à respecter en entrant dans la confédération canadienne.
Il est bien évident que Laurier n’aurait jamais osé s’en prendre à des dictats anglais, mais la pression était tellement forte qu’il a essayé une manœuvre de diversion, manœuvre que l’on appelle le compromis Laurier-Greenway.
Le stratagème permettait l’enseignement d’une langue autre que l’anglais... une demi-heure par jour, en fin de journée, dans certaines écoles dont la rareté égalait l’ineptie.
6 ans après l’adoption de la loi inique et inconstitutionnelle, Laurier accouchait de cette lamentable mascarade.
Pas plus que bien d’autres, le sénateur Bernier ne s’est pas laissé abuser par cette tartuferie et il multiplia, tant au Sénat que dans divers journaux, ses attaques contre ce Laurier capable d’abandonner aussi vilement son propre peuple.
De Henryville à Saint-Boniface, Thomas-Alfred Bernier n’avait rien perdu de sa lucidité.

mardi 4 octobre 2016

QUAND L’HISTOIRE SERT À BAPTISER




Rivière l'Acadie, en hiver.

Notre territoire est traversé par une assez longue rivière qui serpente paresseusement dans les terres avant de se jeter dans le Richelieu à la hauteur de Carignan.


Morelle d'Amérique
Au temps de la Nouvelle-France, les habitants l’avaient nommée rivière aux Morelles, du nom d’une petite plante envahissante, la morelle d’Amérique (Solanum sarachoides).


Après l’invasion britannique, les forces d’occupation ont pris l’habitude de prononcer morelle Montreal, et la rivière devint la Montreal river.


En français, elle devint aussi la rivière de Montréal, ou, eu égard à ses dimensions réduites, la petite rivière de Montréal.


Par ailleurs, considérant le grand nombre de réfugiés acadiens venus s’installer chez nous pour échapper aux massacres sans pitié perpétrés chez eux par les mêmes envahisseurs britanniques, l’habitude s’était prise, localement, de nommer le cours d’eau rivière de l’Acadie.


En 1965, l’ancêtre de notre société, la Société historique de la Vallée du Richelieu estime que cette confusion toponymique a assez duré.


Elle demande à la Commission de Géographie de Québec, ancêtre de la Commission de toponymie actuelle, d’officialiser le nom rivière de l’Acadie et elle obtient immédiatement gain de cause.


Elle en profite aussi pour demander – avec succès encore – de rectifier le nom d’une autre rivière, la rivière Bernier, qui portait à l’époque le nom de rivière Montgomery, du nom du général étatsunien Richard Montgomery qui avait suivi son cours, en 1775, pour attaquer le Fort Saint-Jean et infliger à sa garnison britannique un siège de 45 jours.


La rivière Montgomery est donc devenue officiellement la rivière Bernier, honorant ainsi le lieutenant  et aide de camp du Baron de Dieskau, Joseph-Pierre Bernier, qui a apporté son aide aux Acadiens exilés pour qu'ils puissent s'établir dans la région.